POINT DE BASCULE
Concours Lausanne Jardins 24
2023
Hier, c’était le progrès. « Éduquer et créer ». Ce n’est pas qu’une exposition, mais une vision d’avenir pour un territoire en mutation. Catalyseur déterminant d’une politique de l’automobile, l’Expo 64 pose les fondations d’un réseau routier d’envergure. La création du giratoire de la Maladière, « infrastructure de démonstration », traduit dans l’espace de manière quasi instantanée le désir automobile. Tel le sceau d’un progrès confiant, il vient sceller l’avenir du territoire.
Le delta du Flon est remodelé, remblayé. La rivière est canalisée. Sous l’asphalte, les remblais. Sous les remblais, le « voûtage » d’une rivière dont les eaux sans vie ne sont plus désormais que les fantômes du Flon. Ce qu’on ne voit pas, mais qui est ; le paysage et son double.
Un paysage recomposé au service d’un régime de production établi sur la consommation d’énergie fossile. Sous couvert d’une vision progressiste et hygiéniste, se met alors en place un système d’exploitation des ressources qui engage des rapports extrêmement pauvres avec le non-humain.
Aujourd’hui, ce sont les constats. Seule, une personne promène son chien, alors que les véhicules, inlassablement, effectuent autour d’elle une ronde macabre. Un espace saturé, bruyant, pollué et polluant. Les composantes naturelles sont enterrées et oubliées, entrainant une rupture des rapports sociaux, des pratiques et des usages.
Cependant, aujourd’hui, ce sont aussi les revendications. Débattre et repenser nos modes de déplacement, nos modes de vie et notre rapport au vivant. Le rond-point est pris pour cible. Donnant corps aux revendications, réaffirmant le droit sur un espace, les manifestant·es célèbrent provisoirement une présence commune. Manifestation politique et manifestation de soi. Le lieu revêt un autre symbole, celui d’une infrastructure de démonstration d’autres possibles.
Et demain ?…
Soudain, au centre du rond-point, la terre bascule. D’un côté, elle s’enfonce dans le sol, dévoile ses strates, ses cicatrices. De cette dépression, de l’eau émerge. Aurait-elle percé le « voûtage » du Flon ? La composition du sol évolue, des graviers s’y déposent, un microécosystème s’y développe. Roseaux à massette, iris, grande douve et laîche des rives s’y épanouissent.
À l’opposé, la terre se soulève. Elle empiète légèrement sur l’asphalte démesurément étendu. Un autre monde émerge. En gagnant de l’altitude, la végétation se développe et la terre s’enrichit. Une prairie sèche voit le jour. Luzerne, vulpin et coquelicot, quelques pas plus haut, elle devient prairie fleurie. Au sommet, érables champêtres et chênes pédonculés commencent à se développer. La microforêt gagne du terrain.
Au centre du mouvement de bascule, un fin cheminement de copeaux se forme. En descendant de la Vallée de la Jeunesse, il nous invite à bifurquer de leur route, une bifurcation nécessaire. Funambules sur un fil, nous nous retrouvons au centre du point de bascule, au centre d’un jardin qui s’incline. Il nous invite à franchir le pas, à nous étendre sur la prairie, à toucher l’eau. Une incitation à s’immerger et vivre le basculement.
Alors, on imagine. C’est soudain le rond-point tout entier qui bascule. Les eaux du Flon émergent et se creusent, patiemment, un large nid de rivière. Autour, les barrières tombent, la route s’amincit et les mobilités se diversifient. Le rythme décélère et la végétation s’épanouit et se répand. La nuit, plutôt que le vrombissement des moteurs, c’est le croassement des crapauds qui agace les habitant·es du quartier voisin. L’humain et le non-humain partagent le territoire.